Morgane Ely

A propos de l’artiste

Morgane Ely (née en 1995) est une artiste française vivant et travaillant à Paris.

Diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris en 2021, elle explore durant plusieurs années la sérigraphie et la lithographie. C’est lors d’un séjour à Tokyo que Morgane Ely s’initie à l’estampe japonaise et à la gravure sur bois. Des techniques qui nécessitent peu de moyens et qu’elle adopte très vite pour les combiner aux procédés d’impression qu’elle maîtrise, s’extrayant ainsi de la contrainte de l’atelier et des presses. Ciment de son travail, la gravure donne à ses estampes un aspect photo-réaliste. Des estampes dont l’héritage traditionnel se confronte à des représentations féminines contemporaines passées au filtre de la Fast-Culture et d’Instagram. En s’appropriant leurs symboliques, en réinventant leurs destins souvent brimés par la domination masculine, elle leur confère des qualités héroïques, les érige en déesse, en guerrière. L’œuvre de Morgane Ely questionne l’incarnation des femmes de pouvoir aujourd’hui à travers le choix de ses images, pauvres en résolution car récupérées sur Internet.

Morgane Ely forme ainsi un réservoir iconographique unique, reflet des pratiques de consommation de contenus actuelles (streaming notamment) et des nouveaux modes d’interaction sociale (réseaux sociaux, blogs…). Jouant volontairement avec la visibilité, la lisibilité, l’artiste aime l’idée que l’on ne puisse pas saisir tout de suite ses œuvres, que la nécessité de prendre le temps de s’approcher, de s’arrêter, de se fixer pour voir ce qui est représenté ou écrit, s’impose d’elle-même. Un arrêt sur images saisissant et empreint de sororité.

ROBERT PATTINSON SCREAMING, 2022, gravure sur bois encrée, 75 x 75 cm

            THE FEMALE WARRIOR, 2021, gravure sur bois encrée, 150 x 300 cm (en 3 parties : 3x 150x100cm )

KIM KARDASHIAN CRYING, 2022, gravure sur bois encrée, 75 x 75 cm

KAREN SMITH BITCHING ABOUT REGINA GEORGE, 2022, gravure sur bois encrée, 75 x 75 cm

TEXTE


Morgane Ely

Par Elora Weill-Engerer

Le travail de Morgane Ely s’inscrit dans une relation paradoxale aux féminismes et aux patriarcats mais c’est précisément ce paradoxe qui le nourrit en substance. Le féminisme, ici, ne s’oppose pas au féminin, ni même à l’hyperféminité. La figure de la pin-up peut piloter un vaisseau alien, utilisant sa sensualité comme une arme de combat. Mais l’image qui se consomme est mise en branle par une technique très précise : une fois encrée, elle se révèle sur le support en bois minutieusement gravée à la gouge. Se joue alors une tension dans la double temporalité : Morgane Ely utilise des captures d’écran ou des photos de paparazzi ; ces images prises très rapidement sont distendues par les longues heures nécessaires à graver l’image. Les trames inscrivent l’image dans un temps qui vibre, même si tout semble se passer dans une durée immobile. Le mouvement s’immisce dans l’image fixe, l’effet de moiré crée des agitations visuelles similaires à celles que l’on retrouve sur les écrans. À travers ce caractère hypnotique et mouvant, Morgane Ely tend à faire vaciller les représentations culturelles en déconstruisant les distinctions : art/divertissement, sexualité/politique,culture populaire/culture universitaire. 

Une telle démarche prend appui sur l’hypothèse que le féminisme ne peut pas intégrer une même doxa sur la longue durée, sous risque de s’auto-contredire dans sa volonté de non-binarité. C’est plutôt la contradiction et le paradoxe qu’il faut habiter : se soumettre aux diktats de la féminité pour s’en libérer, investir la technique par l’artifice, penser Hollywood à l’aune des traditions. En exploitant les images de l’industrie culturelle populaire, il s’agit de placer le féminisme sous le signe d’un non-essentialisme. Suki de Fast & Furious, Twilight, Les Kardashians, Britney Spears, Christina Aguilera : toutes ces figures reflètent une féminité si excessive qu'elles perturbent les conventions auxquelles elles se conforment. En les traitant avec les techniques traditionnelles d’estampe qu’elle a apprises au Japon, Morgane Ely confère à l’image populaire une préciosité et une valeur historique. L’estampe n’est plus utilisée en vue de sa reproductibilité mais pour ce qu’elle induit sur un support unique. Il en va d’un dépassement de l’opposition entre « culture » et « média », que Maigret et Macé traduisent sous la notion de « médiacultures » (2005), notion dépassant ce clivage et les oppositions problématiques qu’il charrie, comme la distinction entre la culture authentique et le manque de culture. Les objets hybrides que sont la « culture fan », la « cyber-culture », la « pop culture » et la « culture de masse » prouvent qu’il peut être fécond d’articuler les dualités pour penser le politique. D’une manière similaire, Morgane Ely conjugue l’esthétique de l’ « image pauvre » qui s’épuise à force d’être « téléchargée, partagée, reformatée et rééditée », et la finesse d’une technique ancestrale dans la perception des hyperféminités. S’engendre alors une subversion de l’influence des images sur nos comportements et un rejet de la conformité de toute représentation à une forme de morale : la bimbo se fiche bien du male gaze.

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