Comme un biologiste en son laboratoire, Mathieu Merlet Briand glane sur Internet la matière première qu’il prélève avant de la mettre en culture. Plutôt que d’une simple remise en circulation, les images, mots et sons de l’écosystème digital font l’objet d’une véritable opération de transformation. Passés au crible des protocoles et algorithmes qu’il invente, le fourmillement indistinct de ces data bruts donnent naissance à quelque chose comme une nouvelle texture sensible. De sa formation aux Arts Décoratifs, Mathieu Merlet Briand aura en effet gardé une approche qui est davantage une pensée de la matière que de l’image. Né en 1990, Mathieu Merlet Briand appartient de fait à la génération qualifiée de « digital native », pour qui l’environnement digital n’a jamais été synonyme de réseaux de câbles ou d’interfaces-écrans. Sans matérialisation du hardware, le digital est précisément cela : une immersion dans un écosystème qui nous enveloppe et nous conditionne mais que l’on ne perçoit pas davantage que l’air que l’on respire. Mais cette précision générationnelle traduit et trahit également une question de seuil. S’il hérite de ses prédécesseurs du Post-Internet et des mouvances Post-Digitales, il est tout aussi vrai d’avancer que Mathieu Merlet Briand leur succède – de peu certes, témoignant alors également de ce que l’accélération du temps est bel et bien chose réelle. Plutôt que d’une célébration effrénée d’horizons radieux (et en WiFi), plutôt que d’une critique luddite de la technologie, l’artiste se positionne du côté du réalisme.
De cet attachement au réel naissent des expositions comme #iceberg (2017) ou Environnement (2017). Modélisant par des sculptures le résultat de la mise en culture des data, ces installations rendent physiquement proche la détérioration de la planète sous l’effet des technologies soi-disant dématérialisées. Depuis quelques années, les derniers travaux de l’artiste s’attachent précisément à démontrer combien l’imagination du Cloud et sa représentation comme une nébuleuse à l’état gazeux relève de la croyance. Ces rémanences de systèmes archaïques portées par la technologie, leur retour au sein même de la rationalité moderne qui pensait en avoir triomphé est au cœur de l’une de ses œuvres les plus récentes, #Red-Screen Temple. Que les médias de chaque époque génèrent leurs propres spectres et mythologies, Jacques Ellul s’en faisait déjà l’écho en 1952 dans La technique ou l’enjeu du siècle. On croit l’entendre, lui ou un fantôme lointain, revenir hanter les pièces de Mathieu Merlet Briand déclamant alors : « Dans le monde où nous sommes, c'est la technique qui est devenue le mystère essentiel. (…). On croit en elle parce que ses miracles sont visibles et en progression ».
— Ingrid Luquet-Gad
©HORS-CADRE