L’œuvre d’Anne Laure Sacriste s’aborde telle l’image d’une mémoire agissante, un espace de la rêverie où tout est possible. Ses peintures, entre ornements, monochromes iridescents et paysages inextricables, sont empruntes d’un mystère insondable.
Qu’il s’agisse d’un abîme de noirceur dans lequel se détache une cascade, ou d’un entrelacs de motifs floraux réinterprétant les textiles de William Morris, l’image semble se dérober comme une énigme. Au-delà du seuil entre figuration et abstraction, elle devient la figure de l’absence, la surface de projection d’états intérieurs et transitoires… La métaphore d’une suggestivité. Images réelles et images mentales se mêlent ici comme pour souligner la nature du temps, son immuabilité. L’éclat vibratoire et quasi éblouissant de certains tableaux résonne à l’obscurité sourde d’un autre. Ainsi, le travail d’Anne Laure Sacriste, entre minimalisme et décoratif, joue avec le visible, faisant basculer la question de la représentation vers celle de la sensation. Son œuvre s’appréhende davantage telle une atmosphère, une émanation de l’intime, de la psyché à travers la réalité du tableau, interrogeant la force de la persistance rétinienne.
Si son travail est originellement graphique et pictural, l’artiste s’empare d’autres supports (la sculpture, la gravure, la céramique, le film, l’objet, l’installation…), convoquant d’autres techniques, et étendant son univers au volume et à l’espace englobant. Les éléments végétaux sortent de la surface de la toile, les plaques de cuivre montrent le spectre d’une image qui reflète l’espace environnant, et qui diffèrera selon l’heure et la lumière. Dans ces expérimentations, la verticalité rencontre l’horizontalité, le support se dédouble, la figure devient tangible, les formes élémentaires côtoient l’instabilité... L’exploration de ces nouveaux processus donne donc lieu à de nouvelles partitions, dans lesquelles les œuvres antérieures se trouvent rejouées, recontextualisées dans un dialogue avec l’espace. Le discours moderne sur l’autorité et la planéité du tableau devient finalement prétexte à tous les possibles. Les œuvres ne se laissent plus saisir dans une occurrence unique. Elles sont des fragments d’une démarche complète, qui cultive la multiplicité des points de vue et régénère sa propre dialectique pour mieux saisir le réel et l’investir.
L’héritage de l’histoire de la peinture, et notamment la peinture de paysage qui est elle-même une donnée abstraite, a guidé Anne Laure Sacriste dans une recherche métaphysique. Traversant et subvertissant les courants, inspirations, évocations, ou encore les disciplines, Anne Laure Sacriste ouvre l’espace de la peinture comme pour mieux révéler la substance des choses. Elle invite à penser le regard, ce regard qui scrute et cherche inlassablement, dans une pensée toujours en mouvement.
— Isabelle Bernini