Victoria Kosheleva est peintre. Peintre au sens le plus entier du terme, attachée qu’elle est à l’expression de vérités intimes, d’émotions et de sensations primordiales qui confinent à une texture universelle. Dans ses toiles à la lisière entre abstraction et figuration, les personnages esquissés, suggérés par un contour ou quelques éléments, sont perméables à leur environnement et viennent s’hybrider aux larges aplats colorés qui dissolvent la forme. Appréhender les toiles de Victoria Kosheleva qu’elle exécute à l’huile sur toile, c’est d’abord aborder de plain pied un univers qui ne doit pas tant aux passages des modes, aux influences ou aux écoles. Certes, s’imposent certains échos avec l’histoire de la peinture. Pour la palette, on pense ainsi à certains maîtres de l’expressionnisme allemand, croyant percevoir ici des échos avec Daniel Richter, ses formes aqueuses élongées glissant les unes dans les autres, son refus de la pure figuration et ses déformations qui insensiblement plongent leurs racines dans les confins d’un univers mental situé à fleur de réel. Mystérieuse également, l’atmosphère qu’élabore toile après toile Victoria Kosheleva, comme peut l’être, dans la poésie évanescente un Peter Doig, ou dans une veine plus outrancière et grotesque un James Ensor. Encore, c’est par le choix des motifs, les masques et les regards vides, les costumes et les fonds dont on ne saurait dire s’il s’agit de tissus ou de motifs traités en all-over, que l’on se prend également à faire le lien avec le Symbolisme ; comme un Gustave Moreau percu à travers une vitre brumeuse ou depuis un bolide filant à grande vitesse. Pourtant, ce parallèle ne s’impose qu’à notre regard baigné de tradition européenne.
De son côté, Victoria Kosheleva, née en 1989 à Moscou où elle fera également ses études, cite parmi ses artistes préférés Leon Bakst ou Constantin Somov. Décorateur et costumier pour le premier, peintre symboliste russe pour le second, les deux se caractérisent par l’attention particulière portée à la figure humaine. Plutôt qu’une manière de peindre, ce serait alors davantage du côté d’une ontologie du vivant qu’il faudrait aller chercher le sens des œuvres de l’artiste. Elle s’en explique, en avançant que le contemporain, aujourd’hui, lui paraît un concept daté, emporté par le flux et reflux chaotique d’informations. Avec la qualité atemporelle de l’imaginaire, ses panoramas dépeignent l’essence d’une humanité réduite à ses fondamentaux : ses rêves récurrents, ses images hantées, qui reviennent de siècle en siècle et rejoignent quelque chose comme un inconscient collectif peuplé des mythes et des rêves de nos ancêtres. La psychologie, la philosophie, la science et l’art, tous ces registres s’interpénètrent dans le champ de référence qui tisse la trame visuelle de Viktoria Kosheleva, pour qui la peinture, loin d’être matérielle, est avant tout un code, un langage vivant. Afin de poursuivre les recherches autour de la figure humaine, l’artiste projette d’étendre ses recherches à la danse ou à la performance, incarnant alors dans l’espace physique la qualité de mouvement perpétuel dont sont déjà animées ses figures venant scander l’espace pictural comme autant de mystérieuses arabesques.
— Ingrid Luquet-Gad
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